Archikubik au Sud Ouest

La veille de sa participation au Salon de Salon de l’IMMO Bordeaux, Carmen Santana, co-fondatrice d’Archikubik, répondait dans le quotidien SudOuest.fr aux questions de Céline Lanusse et abordait le futur de l’urbanisme et de la construction.

 

 

« IL FAUT DESTANDARDISER LES MANIERES DE CONSTRUIRE »

Carmen Santana, architecte-urbaniste, a cofondé l’agence Archikubik, lauréate du Prix national d’urbanisme espagnol 2021. Rencontre avant sa venue à Bordeaux vendredi 29 septembre.

 

  • Comment l’urbanisme et l’architecture peuvent-ils répondre à la crise du logement et de l’immobilier que nous traversons ?

Le logement et la question de l’accueil dans les villes sont des problèmes qui se posent depuis très longtemps, mais pendant des années on ne s’est pas atta­qué au problème de fond qui est celui de la spéculation foncière. On pourrait parler de crise per­manente, entre problèmes de fi­nancement et crise due au chan­gement climatique. Il est temps de prendre le problème à bras-le-corps et d’être créatif pour trouver des solutions, comme le bail emphytéotique ou encore l’habitat participatif.

La dernière grande secousse a été l’épisode du Covid, qui a en­gendré une période d’incerti­tude et d’angoisse, mais qui a aussi été une opportunité pour se remettre en question, égale­ment parce que le Covid a tou­ché tout le monde, les puissants comme les invisibles. Les ci­toyens ont reconsidéré leurs priorités : la vie, ce n’est pas forcément que gagner de l´argent et consommer. Les grands action­naires ou les grands lobbies ont compris aussi qu’il était impor­tant de re questionner nos modes de production. Les jeunes, par exemple, ont beaucoup évo­lué sur cette question.

Ces moments difficiles, déli­cats, nous ont fait sortir de notre zone de confort, nous sommes obligés de changer nos habitu­des. Je pense qu’une utopie col­lective est à faire ou est en train de se faire pour préserver notre planète.

 

« LE VECTEUR TEMPS EST TRÈS IMPORTANT, ON A TENDANCE À ALLER TROP VITE AVEC DES SOLUTIONS MIRACLES QUI, EN FAIT, N’EN SONT PAS »

 

  • Par quels chemins ?

Par exemple, lorsque Bordeaux met en place le label Bâtiment frugal, c’est très intéressant. C’est au politique d’imposer de nou­velles manières de faire. On tra­vaille encore sur la base de mé­thodologies obsolètes du XXe siècle ou l’on fonctionnait en silo, les décisions venant d’en haut. Aujourd’hui, les solutions pas­sent par la co-création collective.

Dans un contexte de foncier très cher, de taux d’intérêt qui augmentent, aujourd’hui, plus que jamais, il faut dialoguer en­tre chercheurs, citoyens, politi­ques, producteurs de loge­ments, pour trouver des solu­tions innovantes communes. Par exemple, toutes les filières de préfabrication hors site peuvent ai­der. En industrialisant certaines filières, il est possible de gagner de l’argent que l’on peut engager dans le bien-être, des projets plus complexes et hybrides et qui atteignent l’équation envi­ronnementale exigée aujour­d’hui. L’industrialisation permet effectivement de gagner du temps, donc de l’argent et c’est aussi un respect pour les rési­dents qui sont déjà sur place, ce­la veut dire moins de bruit, moins de camions, moins de dé­chets, moins de pollution sur les chantiers. Mais ce sont des filières que l’État doit pousser et promouvoir, si possible en étant in­citatif.

Bien sûr, tout cela s’anticipe. Le vecteur temps est très impor­tant, on a tendance a aller trop vite avec des solutions miracles qui, en fait, n’en sont pas. On éteint un feu d’un côté, mais on en allume un autre ailleurs. Pre­nons le temps de poser des ques­tions pertinentes. Moi je considère qu’il n’y a pas de petit pro­jet, tout est un début de solu­tion. Il faut déstandardiser les manières de construire ou de penser le logement, il faut regar­der tous azimuts.

  • Cela ne peut donc venir que des citoyens?

L’intelligence collective est fabu­leuse avec les habitants, mais aussi avec les constructeurs. L’ar­chitecte aujourd’hui tient un rôle majeur de chef d’orchestre pour aider les politiques et les aménageurs à aller plus loin.

  • La contrainte du Zéro artificialisation nette (1) peut-elle aussi amener à revoir certaines pratiques?

Pour pouvoir refaire la ville sur la ville, il va falloir apprendre à re­construire et non à démolir, en réutilisant les matériaux sur place. Nous le faisons déjà au sein d’Archikubik et à avoir avec une nouvelle esthétique de l’ar­chitecture ou l’on en finit aussi avec les constructions généri­ques que l’on voit partout dans nos projets urbains.

Parler logement aujourd’hui, c’est aussi remettre en question toute la chaîne de production telle qu’elle existe, en embar­quant les politiques, les aména­geurs, les architectes, mais aussi des citoyens qui exigent déjà que le patrimoine, y compris le patrimoine naturel, soit conser­vé.

Aujourd’hui, il faut parler d’un urbanisme humaniste, solidaire et co-construit, sinon on ne s’en sortira pas. On doit pouvoir parler entre nous, ne pas craindre son voisin, mettre en commun des équipements partagés. Il faut un urbanisme qui aide les gens à mettre en commun. Ce siècle sera le siècle du commun. La mobilité de nos postes de tra­vail est énorme, il faut en tenir compte, et déterminer de nou­velles formes de vie et d’habitat.

 

« ON DOIT POUVOIR PARLER ENTRE NOUS, NE PAS CRAINDRE SON VOISIN. IL FAUT UN URBANISME QUI AIDE LES GENS À METTRE EN COMMUN »

 

  • C’est ce que vous allez essayer d’expliquer à Bordeaux?

Oui, en donnant l’exemple de l’Agrocité, projet dans Jeque! est engagé Archikubik et qui illustre ce que l’on fait aujourd’hui en Es­pagne en partant de l’espace pu­blic pour construire la ville. j’ai été formée en France mais c’est ce que j’ai appris en Espagne : on part de l’espace public pour monter un projet.

Le projet Agrocité accueillera 2,5 hectares de production agri­cole professionnalisée dans les cœurs d’îlot et sur les toits. C’est le résultat d’un travail important avec AgroParisTech, des agricul­teurs urbains, pour éduquer à l’alimentation saine, aux saisons, à la poésie dans un quartier, être à l’écoute, en empathie (3). Au­jourd’hui, il s’agit de densifier, donc de monter en vertical, ce dont tout le monde a peur. La densité, il faut la partager, il faut que les habitants puissent se l’approprier. A l’Agrocité, ce sont désormais les habitants qui dé­fendent cette densité qui per­met d’avoir davantage d’espaces publics, d’espaces verts, d’espa­ces en commun.

Il faut un regard systémique pour la production de nos villes si l’on veut face aux change­ments climatiques. Il faut repen­ser la construction et pas seule­ment mettre du vert dans les vil­les. Pour cela, il faut dialoguer, dialoguer, dialoguer, tous en­semble, de manière transversale.

 

Carmen Santana participera au débat organisé Vendredi 29 Septembre en ouverture du Salon de l’immobilier, au Hangar 14 à Bordeaux. (2) Zéro artificialisation nette, objectif du Plan Biodiversité de limiter autant que possible la consommation de nouveaux espaces. (3) Agrocité Gagarine-Truillot, projet de renouvellement urbain à Ivry-sur-Seine (42 000m2 d’espaces publics, 94 000m2 de logements), porté par le Grand Paris aménagement et l’établissement public d´aménagement Orsa.